L’incroyable histoire du tableau de Sisley spolié par les nazis à la famille Lindon

Publié le 25 février 2024 (mis à jour le 26 février 2024), par Claire Bommelaer – Extrait

« RÉCIT – Premier Jour de printemps à Moret, œuvre impressionniste, avait beau être sur la
liste des biens spoliés, elle a été acquise en 2008 par un galeriste suisse chez Christie’s.
Aujourd’hui, l’arrière-arrière-petit-fils de l’acquéreur, Alfred, cherche à la récupérer. Mais les
négociations patinent. »

« Parmi les descendants d’Alfred Lindon (1867-1948), on trouve l’acteur Vincent, l’écrivain Mathieu, l’éditeur, Jérôme (aujourd’hui décédé), une branche française, une branche dite américaine, quelques anciens et une kyrielle de jeunes. C’est au sein de cette dernière génération que se tient Justin, la trentaine décontractée. Au nom de tous les autres, presque habité par une mission, il s’est donné pour but de remettre la main sur un tableau de Sisley spolié à son arrière-arrière-grand-père. « Il s’est saisi avec passion de cette histoire car il avait une sensibilité aux beaux-arts, mais surtout car il estimait que c’était la bonne chose à faire », témoigne, avec une pointe d’admiration, sa grand-mère Hélène, 87 ans. »

« Dans les mains d’Hermann Göring »

« Alfred Lindon naît en Pologne. Il débarque enfant sans le sou à Londres, s’initie au métier de diamantaire auprès d’un professionnel aguerri, et devient, à force de travail, expert en pierres précieuses. Après son mariage avec Fernande Citroën, sœur d’André, il s’installe à Paris, et se met à collectionner tableaux et gravures. L’appartement du XVI e arrondissement de Paris se pare de Renoir, Degas, Manet, Vuillard, et du fameux Sisley. À la débâcle, les Lindon, qui sont juifs, fuient Paris et gagnent les États-Unis. Ils pensent mettre en sécurité 64 de leurs plus importants tableaux dans un coffre de la Chase Bank, rue Cambon à Paris. Peine perdue : en novembre 1940, les Allemands font main basse sur le contenu du coffre, puis acheminent les tableaux vers le musée du Jeu de Paume, où sont stockées toutes les œuvres d’art spoliées aux Juifs. D’échange en échange, on sait désormais qu’une partie de la collection d’Alfred Lindon est arrivée entre les mains d’Hermann Göring, et qu’elle a été expédiée en
Allemagne. »

« Ignorant alors l’ampleur du grand scandale du recel des spoliations, Alfred Lindon s’inquiète du sort de sa collection depuis New York. « J’ai dans un carton une correspondance volumineuse à ce sujet », témoigne Hélène Mackenzie Peers. À leur retour en France, après la Libération, Les Lindon se précipitent pour fournir un inventaire précis des vols à la Commission de récupération artistique (CRA), ce qui leur permettra de retrouver le gros de leurs tableaux, mais pas le Sisley. Puis Alfred décède, en 1948. « Ses fils vont poursuivre les recherches, et déposeront, dans les années 1960, un dossier d’indemnisation auprès de

l’Allemagne », raconte encore Justin MacKenzie Peers. La poussière retombe ensuite, chacun
pensant avoir fait le maximum pour réparer ce qui pouvait l’être. »

« Comme c’est souvent le cas dans ces histoires de spoliations nazies, le passé va tout de même resurgir. En 2016, Denis Lindon, petit-fils d’Alfred, reçoit un coup de fil de ses cousines, habitant aux États-Unis. Grâce à une entreprise canadienne de recherches de tableaux, Mondex, cette dernière vient d’apprendre que le Sisley a été localisé chez un galeriste Suisse. Dans la foulée, une plainte contre X pour « vol et recel de vol » est déposée. Et la famille, des décennies après, recolle partiellement les morceaux. Une fois volé par les Allemands, le tableau disparaît. Il refait surface en 1972, vendu par la galerie Wildenstein à un collectionneur privé. Ce dernier le propose à la prestigieuse maison de vente Christie’s, qui organise une vente consacrée aux impressionnistes, à New York, en 2008. C’est là qu’Alain Dreyfus, galeriste à Bâle au départ spécialisé dans les timbres anciens, repart avec le Sisley sous le bras. Le flou dans la trajectoire du tableau, notamment autour d’une période où le marché de l’art rimait avec pillage et exactions, n’a, à l’époque, alerté personne. À moins que personne n’ait voulu voir? »


« « La provenance publiée dans le catalogue de la vente il y a quinze ans était celle dont les données étaient connues à l’époque. Ce n’est qu’après la vente que de nouvelles informations sur la provenance sont apparues. Nous reconnaissons que la situation est complexe et, bien que Christie’s ne soit pas impliquée dans la procédure judiciaire actuelle, nous disposons d’une expérience et de collaborateurs spécialisés en matière de restitutions. Nous sommes désireux de faciliter la recherche d’une solution de médiation entre les parties. Nous sommes en contact avec elles et leur avons indiqué notre disponibilité pour les aider si elles le désirent. Nous nous abstiendrons de tout autre commentaire compte tenu des procédures en cours », nous indique un porte-parole, dans un mail où chaque mot a visiblement été pesé au trébuchet. »


Ceci est un extrait d’article publié par Le Figaro. Suivez ce lien pour voir l’article
complet: https://www.lefigaro.fr/culture/l-incroyable-histoire-du-tableau-de-sisley-spolie-par-les-nazis-a-la-famille-lindon-20240224.